La Crassule, Crassula helmsii (Kirk) Cockayne dans la vallée de la Meuse
Rédaction : Marie Duval
Relecture : Johanna Bonassi
La crassule de Helms ou en encore l’orpin des marais (Crassula helmsii (Kirk) Cockayne) est une espèce aquatique exotique présentant les critères typiques des espèces invasives : il s’agit d’une plante vivace à croissance rapide, produisant une quantité de biomasse importante, se propageant par multiplication végétative, pouvant s’adapter à diverses conditions et n’ayant pas de prédateurs dans les pays d’introduction (Zambettakis & Herbert, 2012). Cette espèce originaire d’Australie et de Nouvelle-Zélande est vendue en aquariophilie pour ses capacités à améliorer la qualité de l’eau (oxygénation de l’eau et lutte contre la prolifération des algues) (Zambettakis & Herbert, 2012). En 1956, elle est observée pour la première fois en milieu naturel au nord-est de Londres (Zambettakis & Herbert, 2012).
Dans le Grand Est, l’espèce est classée comme EEE avérée émergente (Duval et al., 2020).
Appartenant à la famille des Crassulacées, elle présente des feuilles légèrement succulentes, des petites fleurs blanches solitaires et forme des tapis denses sur les berges exondées ou à la surface de l’eau des étangs et des rivières à faible courant. Le moindre fragment de tige comportant un seul nœud est susceptible de redonner un individu complet et par la suite un tapis. En formant de tels tapis denses et monospécifiques à la surface de l’eau, la crassule limite considérablement l’arrivée de lumière essentielle à la vie aquatique et supplante le développement des autres espèces végétales. Les tapis de crassule peuvent également boucher temporairement les fossés et engendrer des crues en cas de pluies importantes (Zambettakis & Herbert, 2012). Le tapis dense de crassule piège une grande quantité de matière organique favorisant également le comblement progressif des mares et autres plans d’eau (Fried, 2012). De plus, les tapis masquent la présence d’eau ce qui peut engendrer des accidents de chutes dans l’eau voire des risques de noyades d’animaux (bétail et animaux de compagnie) ou d’enfants (Zambettakis & Herbert, 2012).
Tapis et brin isolé de Crassula helmsii à Bras-sur-Meuse © M. Duval (CBL), 2021
Plan d’eau envahit de crassule à Jarny (54) © M. Duval (CBL), 2020
Inconnue de Lorraine jusqu’alors, la crassule a été découverte à l’été 2003 dans le secteur de Bras-sur-Meuse (55) au niveau de la fontaine du Goulot, une source se déversant directement dans la Meuse. Par la suite, d’autres signalements ont été recensés en aval de cette station au sein d’annexes hydrauliques de la vallée de la Meuse comme des mares à Consenvoye ou encore un bras mort à Champneuville en 2015. En 2017, elle a été trouvée sur les berges du plan d’eau de Pré l’Evêque à Verdun (55).
Considérant ces éléments, le Conservatoire Botanique s’est investi depuis 2020 dans la prospection des annexes hydrauliques le long de la Meuse afin de préciser la répartition de l’espèce dans cette vallée et d’évaluer sa progression.
Les prospections se sont déroulées en 2020 et 2021, depuis Haudainville jusqu’à Pouilly-sur-Meuse (village situé à la frontière de la Meuse avec la Champagne-Ardenne) représentant un linéaire d’environ 86 km.
L’espèce est fréquente à proximité de Bras-sur-Meuse où elle a été mentionnée pour la première fois en 2003 mais beaucoup plus localisée en aval de Champneuville. Pour autant, les prospections ont permis d’établir que la crassule s’est propagée jusqu’à Pouilly-sur-Meuse où une petite population de 30 cm² a été observée sur les berges de la Meuse, au niveau d’un ancien camping. D’autres sites de présence de l’espèce ont été recensés en aval de Bras-sur-Meuse à Vacherauville, Marre, Champneuville, Consenvoye, Sassey-sur-Meuse et Liny-devant-Dun.
Progression de la crassule dans la vallée de la Meuse. La date correspond à la première date d’observation de la crassule sur la commune.
On peut raisonnablement supposer que la crassule a pu se propager via des fragments dérivés par le courant de la Meuse, à partir de fragments véhiculés par la micro faune et l’avifaune mais également par les pêcheurs. En effet, cette partie de la Meuse est très fréquentée par les pécheurs qui peuvent facilement véhiculer la crassule (bottes, matériels) lors de leurs déplacements d’un lieu de pêche à l’autre à partir d’un simple fragment de quelques millimètres.
A noter qu’en Lorraine, d’autres secteurs sont également touchés par la crassule notamment un étang dans un parc public à Jarny (54) et une frayère à brochet récemment réhabilitée à Rémilly (57).
L’élimination de la crassule dans la vallée de la Meuse semble illusoire. En effet, les moyens de lutte documentés semblent peu efficaces. Les arrachages manuels et mécaniques utilisés habituellement ne sont pas recommandés dans le cas de la crassule (sauf éventuellement pour des petites surfaces) car ils sont contre productifs. Ils favoriseraient d’avantage la dispersion de l’espèce que son confinement (GT IBMA, 2016).
Par contre, afin de limiter davantage sa propagation, des actions de sensibilisation, notamment à destination des fédérations de pêche, seront prochainement menées par le Conservatoire Botanique de Lorraine.
Bibliographie :
Fried G., 2012. Guide des plantes invasives. Edition Belin, Paris, 272 p.
GT IBMA. 2016. Crassula helmsii. Base d’information sur les invasions biologiques en milieux aquatiques. Groupe de travail national Invasions biologiques en milieux aquatiques. UICN France et Agence française pour la biodiversité.
Zambettakis C. & Hebert T., 2012. La crassule de Helms, Crassula helmsii (Kirk) Cockayne : une petite espèce qui présente toutes les caractéristiques d’une véritable invasive dans le nord-ouest de la France. ERICA, 25 : 145-152.