Le suivi du Sonneur à ventre de feu (Bombina bombina) se poursuit en Moselle
Comme cela avait été décrit dans l’article publié en 2021 (D. Aumaître), une population de Sonneur à ventre de feu (Bombina bombina) est connue depuis 2009 dans le département de la Moselle sur le bassin hydrographique de la Rose.
Sa présence en Lorraine est encore actuellement le premier cas connu d’introduction de cette espèce en dehors de son aire d’origine. En France, cette espèce considérée comme exotique envahissante est aujourd’hui uniquement identifiée en Lorraine.
Sa colonisation semble pouvoir impacter directement le Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata), une espèce autochtone proche morphologiquement du Sonneur à ventre de feu. Le problème principal que pourrait engendrer cette colonisation est l’introgression génétique. En effet, l’hybridation avec le Sonneur à ventre jaune, occupant le même habitat est connue et documentée, elle est donc possible en Lorraine.
Face à l’apparition d’une espèce allochtone, plusieurs questions se posent :
- Quelle est l’origine de cette introduction et d’où provient la population source ?
- Quelle est l’état et la dynamique de cette population ?
- Quel est son éventuel impact sur les espèces autochtones et notamment sur le Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) présent dans cette partie du département ?
- Quelles sont les actions à mettre en œuvre, le cas échéant, au regard des réponses ci-dessus ?
Origine
Sur le premier site connu, l’espèce est présente au sein des bassins de pisciculture abritant des rotengles, des gardons, des carpes et des fingerlings de brochets. Ces bassins sont généralement bien végétalisés, régulièrement mis en assecs parfois sur une année entière et sont peu profonds.
L’espèce semble néanmoins absente des étangs de plus grandes tailles en gestion « polyculture », c’est-à-dire abritant des poissons « fourrage » (gardons, tanches, rotengles), des carpes adultes, ainsi que des carnassiers (brochets, perches, sandres).
Comme c’était précisé dans l’article publié en 2021, une étude génétique de 2012 a confirmé le caractère allochtone de l’espèce avec pour origine l’Autriche, la Slovaquie et la Hongrie (Vacher et Ursenbacher, 2012 ; Vacher et al., 2020). Elle a également montré que les individus de B. bombina des deux stations connues au moment de l’étude sont génétiquement proches avec un effet « bottleneck » (“goulot d’étranglement”) confirmant une introduction à partir d’une même population d’origine. Aussi, malgré cet effet « bottleneck», la diversité génétique reste assez élevée, indiquant une introduction initiale de nombreux individus.
Tous les étangs « favorables » appartiennent au même pisciculteur et sont en lien avec le réseau hydrographique. De plus, la pisciculture nécessite de nombreux transports de poissons vivants (approvisionnement, revente) aux périodes possibles de présence d’adultes, au-delà des frontières et notamment en Europe de l’Est. Une introduction relativement massive a été faite mais son introduction semble avoir cessée. Néanmoins, des transferts vers d’autres régions piscicoles françaises sont possibles.
Etat de la population
L’espèce est porteuse des champignons chytrides responsables de la Chytridiomycose. L’espèce aurait pu être porteuse avant son introduction ou être en contact avec une autre espèce porteuse.
Les individus en Lorraine sont matures lors de leur deuxième année. Aucun des individus testés ne sont âgés de plus de 5 ans, alors qu’ils atteignent 11 ans au Danemark et 12 ans en Russie. Ces résultats pourraient être expliqués par les conditions de vie non favorables ou par certains facteurs limitants du territoire.
Répartition
En Lorraine, en 2023, l’espèce a été détectée sur 5 sites.
Le premier site connu, qui est aujourd’hui le principal site, se situe sur le bassin de la Rose. L’introduction de cette espèce sur ce site est probablement due à la pisciculture. L’espèce y est présente dans les étangs de pisciculture et a colonisé plusieurs autres habitats alentours. En connexion avec le réseau hydrographique, elle colonise progressivement l’ensemble du bassin, les marais et les habitats favorables en dehors du bassin, notamment en zone forestière dans les mares, ornières et mares en praire. Cette population est étendue, en 2023, à une soixantaine de sites de ce bassin versant et son aire d’extension est estimée à 3000 ha.
En 2013, un nouveau site a été identifié à Creutzwald, sur un site industriel et dans une roselière. En 2016, une troisième population a été identifiée à Longeville-lès-Saint-Avold (57). En 2018, une autre donnée a été identifiée et confirmée en 2023 à Hoste (57) dans une mare forestière. Dans un autre département Lorrain, en 54, une dernière station a été identifié à Maxéville en 2020 sur une marre privée. Cette station proviendrait à priori de la station principale de Moselle.
Situation en Lorraine en 2023 : présence du Sonneur à ventre de feu en Lorraine (2011-2018, carrés rouges) et du Sonneur à ventre jaune (1968-2018 – carrés bleus), Commission Reptiles et Amphibiens, de Lorraine, 2020
Suivi
Un protocole de suivi du Sonneur à ventre de feu est réalisé depuis 2019 par « site occupancy ». Peu couteux et statistiquement fiable, ce suivi qui est réalisé tous les 2 ans permet de mieux connaitre la répartition de l’espèce sur le site principal.
Ce protocole a permis de définir les zones de présence et les zones « favorables » à prospecter. 64 carrés de présence et 521 « favorables » ont été identifiées. Le test de puissance, a sélectionné un minimum de 120 carrés de présence (50 dans la zone de présence et 70 dans la zone d’absence) à prospecter afin d‘avoir la meilleure représentation possible de la répartition de l’espèce.
Résultat du test de puissance
En 2022, deux passages ont été réalisés et ont permis d’identifier 27 carrés de présence. Néanmoins, le Sonneur à ventre de feu a également été retrouvé dans des zones hors carrés. De plus, le Sonneur à ventre jaune a été identifié dans la même ornière où ont été trouvés des Sonneurs à ventre de feu.
Résultat des prospections : présence de B. bombina
Originaires de l’Europe de l’Est (Autriche, République tchèque, Slovaquie, Hongrie), plusieurs milliers d’individus de B. bombina sont présents aujourd’hui en Lorraine, répartis en 60 sites. L’introduction de l’espèce est issue de nombreux individus d’une même origine, les individus de B. bombina sont proches génétiquement avec un effet « bottleneck ».
La population d’origine semble en extension via le réseau hydrographique du bassin de la Rose. Néanmoins les individus restent jeunes (5 à 6 ans au maximum) témoignant des conditions suboptimales en Lorraine, ce qui pourraient également limiter leur expansion. Son extension et son maintien est en grande partie liée à l’activité humaine : gestion des bassins piscicoles, gestion des marais et présence d’ornières en forêt.
En 2024, le suivi par « site occupancy » sera poursuivi. Plusieurs actions complémentaires pourront être mises en œuvre afin de suivre et mieux connaitre la population : vérification de l’origine des nouvelles populations, mise à jour des données génétiques de la population d’origine, vérification d’une possible introgression, … Des mesures de préventions devront également être mises en place afin de s’assurer du non-transfert d’individus de Lorraine vers d’autres régions piscicoles.
Identifiée comme l’une des quatre espèces faisant l’objet du plan national d’action des amphibiens exotiques envahissants, le Sonneur à ventre de feu a un statut particulier dont la stratégie d’intervention est à définir et à intégrer également dans le plan national d’actions sur le Sonneur à ventre jaune et sa déclinaison régionale, ainsi que dans le plan d’action régionale relatif aux espèces exotiques envahissantes.
Photo à gauche : Sonneur à ventre de feu (Bombina bombina) ©J.P. Vacher
Article rédigé par Camille Gunder (CEN L) reprenant la présentation de Damien Aumaître (Commission Reptiles et Amphibiens du CEN L) à l’occasion de la 5e édition des rencontres herpétologiques du Grand Est.